Une icône du luxe, mais à quel prix (sur route) ?
Il y a des noms qui brillent presque autant que les carrosseries qu’ils habillent. Dans le monde automobile, Rolls-Royce en fait partie. Et parmi ses fleurons contemporains, la Rolls-Royce Ghost a souvent été présentée comme une limousine de luxe à « taille humaine », une alternative plus discrète à la majestueuse Phantom. Mais la question mérite d’être posée sans filtre : cette berline vaut-elle vraiment les performances stratosphériques affichées, une fois les clés en main et les roues sur l’asphalte ?
En tant que passionné de technique et d’usage réel du véhicule, j’ai pris le temps d’examiner cette Ghost non pas dans un palais ou sur un tapis rouge, mais sur route, avec l’œil pragmatique de l’ingénieur. Décryptage.
Fiche technique : du lourd, très lourd
La Ghost, dans sa dernière itération, embarque un V12 bi-turbo de 6,75 litres développant 571 chevaux pour 850 Nm de couple. Pour une berline de luxe flirtant avec les 2,5 tonnes sur la balance, ce n’est pas de trop. Le 0 à 100 km/h tombe à 4,8 secondes, ce qui est impressionnant compte tenu de son gabarit.
Mais comme toujours avec Rolls-Royce, ces chiffres ne sont qu’une partie de l’histoire. Le mot d’ordre ici, c’est la fluidité. À l’usage, on n’a pas tant l’impression d’accélérer que d’être délicatement propulsé. Le couple maximal est disponible dès 1600 tr/min, ce qui rend inutile toute montée en régime brutale. La transmission à 8 rapports, pilotée par GPS, anticipe même les changements de vitesse en fonction du terrain. Du pur raffinement mécanique.
Tenue de route : mieux que prévu
On pourrait croire qu’une voiture aussi massive possède la nervosité d’un paquebot. Sur ce point, Rolls-Royce surprend. La Ghost bénéficie d’une suspension pneumatique multicaméra avec un système baptisé « Flagbearer », qui lit en temps réel la route pour ajuster le comportement de la voiture. Résultat : le roulis est gommé, les bosses comme avalées, et le tout donne l’impression de flotter… sans jamais vraiment perdre le contact avec la route.
En conduite appuyée, elle reste stable et prévisible. Certes, ce n’est pas une berline sportive – elle freine long, son poids se fait sentir à l’attaque d’un virage serré – mais dans l’exercice de la grande routière de luxe, elle est souveraine. Autrement dit : ce n’est pas tant une question de performances brutes que de performance dans le confort.
Intérieur : une autre planète (ou époque)
À bord, c’est un autre monde. Bois noble, cuir pleine fleur, détails en métal brossé, ciel étoilé à fibre optique… La Ghost n’en fait jamais trop, mais atteint une harmonie presque thérapeutique. Ce n’est pas le genre de voiture où on cherche l’écran tactile de 17 pouces ou les gadgets dernier cri. Ici, tout est pensé pour éviter de déranger le conducteur comme les passagers.
L’insonorisation est bluffante. À 130 km/h, vous discutez à voix basse sans hausser le ton. D’ailleurs, Rolls-Royce préfère parler de “charme acoustique” plutôt que de silence absolu : l’objectif n’est pas l’absence de bruit, mais une sonorité apaisante et constante.
Technologie embarquée : discrète mais pointue
Pas de démonstration technologique voyante ici – cela détonnerait avec la philosophie de la maison. Pourtant, sous cette simplicité apparente se cache un arsenal de technologies d’assistance à la conduite :
- Caméra thermique de vision nocturne
- Affichage tête haute
- Conduite semi-autonome sur voies rapides
- Suspension proactive via caméras
- Direction intégrale pour faciliter les manœuvres
Tout fonctionne à merveille, souvent sans que l’on s’en rende compte. Une forme de luxe aussi : l’efficacité sans publicité.
Sur la route : praticité ou démesure ?
Conduire une Ghost en ville ? C’est possible, mais disons-le honnêtement : chaque créneau devient un exercice stratégique, chaque dos-d’âne un potentiel agacement. Son gabarit (5,55 m de long) fait d’elle une voiture destinée surtout aux grands trajets. Et elle s’y sent comme chez elle : sur autoroutes dégagées, au régulateur adaptatif, elle efface les kilomètres sans sourciller.
Côté consommation, on oscille entre 14 et 18 L/100 km selon le rythme. Et inutile de chercher un mode électrique ici : Rolls-Royce considère l’électrification sur d’autres modèles (comme la Spectre), mais pas encore sur la Ghost. Pour cela, il faudra attendre encore un peu.
Le niveau de confort : une référence absolue
S’il y a un critère où la Ghost pulvérise la concurrence, c’est le confort. Aucun bruit de roulement, aucune vibration parasite, une position de conduite parfaite, des sièges massants au réglage chirurgical et des passagers arrière traités comme des rois. Certains appuient sur un bouton pour baisser la vitre. Ici, on appuie sur un bouton pour la fermer à votre place.
Chaque élément a été peaufiné de façon artisanale. Une anecdote parlante : le cuir utilisé dans la Ghost provient de vaches élevées en altitude, évitant ainsi les piqûres d’insectes sur les peaux. Voilà jusqu’où ils vont pour éviter les irrégularités.
Un investissement ou une extravagance ?
Le prix d’appel d’une Ghost dépasse les 350 000 €. En ajoutant un peu de personnalisation (ce que ses acheteurs font dans 100 % des cas), la facture grimpe vite au-delà des 400 000 €. Est-ce justifié ? Tout dépend des attentes.
Si vous cherchez la performance pure pour ce prix, une Porsche Taycan Turbo S ou une Mercedes-AMG GT 4 portes feront mieux sur circuit. Mais aucune ne vous offrira cette impression de sérénité absolue, cette toute-puissance paisible qui caractérise une Rolls-Royce.
À noter cependant : à la revente, la Ghost décote lentement. Ce n’est pas un placement rentable, mais elle conserve mieux sa valeur que la plupart des berlines haut de gamme, du fait de son exclusivité et de la qualité perçue.
Et au garage ? Pas pour les bricoleurs du dimanche
Les interventions sur une Ghost ne sont pas à la portée de tous, même des mécaniciens confirmés. Rolls exige un entretien dans son réseau agréé, et le coût d’un service standard frôle les 2000 €. Les pièces sont rares, souvent livrées à la commande, et il faut un outillage spécifique pour ne pas compromettre certains composants électroniques sensibles.
En revanche, la fiabilité du bloc V12 – largement éprouvé chez BMW (N74) – rassure. Aucun gros défaut structurel n’a été relevé sur les millésimes récents, et les voitures bien entretenues dépassent les 200 000 km sans incident majeur. Mais attention aux équipements secondaires : les ouvrants électriques, les interfaces tactiles ou les aides à la conduite nécessitent parfois des reprogrammations spécifiques.
Le verdict du terrain
La Ghost n’a pas été conçue pour impressionner par les chiffres, même si ceux-ci sont flatteurs. Elle propose une autre expérience : celle d’un luxe feutré, d’une ingéniosité mécanique au service du confort, avec une maîtrise technique bluffante sur route. Clairement, ce n’est pas une voiture pour tout le monde. Elle n’est ni rationnelle ni compatible avec une utilisation quotidienne en zone urbaine dense. Mais pour qui veut la quintessence d’un voyage apaisé, le luxe en mouvement, la Ghost reste sans concurrent direct.
Doit-on y voir l’expression ultime du luxe automobile ? Ou une extravagance roulante inaccessible ? Chacun aura sa vision. Une chose est sûre : la Ghost est beaucoup plus qu’un objet statique de musée ou qu’un caprice de star. Elle roule, et elle le fait diablement bien.